Centre de Recherche sur les Poétiques du XIXe siècle
Université Sorbonne Nouvelle : 8, av. de Saint-Mandé, 75012 Paris
CRP19, 17, rue de la Sorbonne, 75005, Paris (bureau F013)
Séance du séminaire des doctorants du CRP19
En présence de Christian Doumet
Argument
Trop souvent cantonnées chacune à leur champ respectif, littérature et philosophie sont en réalité étroitement liées au XIXe siècle, ce qui explique qu’Hugo puisse intituler un de ses ouvrages Littérature et philosophie mêlées. Comme le relève Michel Pierssens dans l’ “Appendice : littérature et philosophie” de son ouvrage Lautréamont, éthique à Maldoror, avant la naissance du métier de “professeur”, qui apparaît dans la première moitié du siècle et est fortement corrélé à la naissance de l’École Normale, les deux matières se confondent. La dimension philosophique d’une œuvre est ainsi indépendante de son inscription dans un genre et le récit imprègne le raisonnement discursif. Pour beaucoup au XIXe siècle, le roman, la poésie, “ne se distingue[nt] pas de la philosophie, et philosopher, c’est d’abord écrire” (Pierssens, p. 204). C’est ce que nous voudrions donner à voir ici, en nous appuyant sur des notions philosophiques pour éclairer les projets esthétiques comme éthiques des écrivains, romanciers ou poètes.
Gabrielle Veillet, "Corbière et Ducasse : une révolte philosophique ? De la parrêsia de la philosophie cynique à la rage des “chiens de plume”, une poétique du factice."
Poètes maudits dont les œuvres ont connu des réceptions similaires, Corbière et Ducasse (Lautréamont) entretiennent des liens de proximité. Dans son article “Corbière et Lautréamont : deux maudits ?”, Kevin Saliou relève ainsi “la révolte philosophique” des poètes. S’il n’en dit pas davantage, il me semble que c’est cette révolte qu’il convient d’interroger, dans ses fondements comme dans ce qu’elle produit. En effet, cette révolte qui s’insurge contre les règles de la vie comme de l’art relève en premier lieu du courage du dire vrai cynique : poètes errants menant des “vies de chien”, s’identifiant davantage aux animaux qu’aux hommes, faisant de la quête de la vérité une obsession, Corbière et Ducasse incarnent des Diogène modernes. Leur révolte ne s’arrête cependant pas à cette identification : contre le “faux vrai” des époques romantiques et parnassiennes, elle transvalue les valeurs du cynisme antique en un “vrai faux” à la source d’une véritable po-éthique du factice.
Alice Mugierman, "Penser un modèle démocratique ? Les œuvres des frères Goncourt à la lumière du care.
Dans le Journal, dix ans après avoir écrit une Histoire de la société française pendant la Révolution (1854), Edmond et Jules de Goncourt écrivent encore : « Ôtez le sang de la Révolution et le mot : “C’est trop bête !” vous viendra à la bouche, devant ce ramas d’imbécillités cannibalesques et de rhétorique anthropophage » (Journal, 21 décembre 1866). Placée sous le signe de la sauvagerie, l’ère démocratique est le contre-modèle de leur idéal aristocratique. Exaltant la fragilité de l’humain, ses besoins de soin et ses relations d’interdépendance, ce modèle se rapproche des préoccupations morales du concept philosophique du care, élaboré en 1982 par C. Gilligan. Pourtant l’éthique du care se définit comme démocratique, et malgré leurs virulentes réserves, l’on pourrait bien reconnaître des revendications de cet ordre dans les romans goncourtiens. Je m’attacherai donc à montrer, dans quelques œuvres des deux frères, les ambivalences des principes démocratiques grâce aux réflexions du care.