La lecture comme lieu
Séance du séminaire des doctorants du CRP19, avec la participation de Marie Parmentier.
Argument
La littérature du XIXe siècle conçoit la lecture comme un lieu unique. En poursuivant les réflexions de Rousseau sur le pouvoir salvateur de la lecture, propre à inspirer la bonté, les romantiques, et en particulier Germaine de Staël, définissent celle-ci comme un lieu d’engagement moral. Toucher l’âme du lecteur ne vise pas à l’apitoyer sur le sort fatidique des parias romantiques mais à lui inspirer une éthique de la sympathie et de la bienfaisance réaffirmant ses valeurs citoyennes. Cette visée morale est corrélée à l’attention que le XIXe siècle porte à la page, notamment avec la seconde révolution du livre. Les poètes utilisent la page comme un lieu d’expérimentation plastique et visuelle renouvelant ainsi le langage de la poésie. La lecture s’apparente inévitablement à un lieu à part entière, propice à une réflexion métalittéraire.
Juliette Dumont, « Naissance d'un lieu : la page. Les Illuminations de Rimbaud et la poésie qui se voit »
Le XIXe siècle connaît la seconde révolution du livre et fait émerger un lieu jusqu’alors peu fréquenté : la page. La découverte de cet espace signifiant a des conséquences tant en termes de lecture que d’écriture, notamment en poésie, genre traditionnellement lié à la musique et à l’oral. Cette communication se propose d’explorer les enjeux de la naissance de la page comme lieu, les inquiétudes qu’elle suscita et les évolutions qu’elle permit. Soucieuse de retracer le passage d’une poésie oralisée à une poésie visualisée comme un processus du siècle, et non comme une rupture, elle cherchera à présenter l’apport des poètes du milieu du siècle avant de se pencher plus spécifiquement sur la contribution de Rimbaud par les Illuminations. Elle s’intéressera à la manière dont Rimbaud a su exploiter les possibilités offertes par ce nouveau lieu, la page, en libérant la parole poétique de ses entraves pour lui insuffler du dynamisme et de l’énergie, tout en la rapprochant des mouvements de la pensée.
Adrien Peuple, « Staël : la lecture comme lieu d’un engagement moral »
À la suite de Rousseau et de Diderot qui promeuvent le roman comme un savoir anthropologique apte à inspirer la vertu, Staël prolonge cette réflexion morale sur la fiction en soutenant, dès son Essai sur les fictions (1795), que le roman, par sa poétique émotionnelle, influence moralement les mœurs publiques. C’est dire que la lecture détient une fonction morale et sociale importante. La « moralité sensible » du genre romanesque accorde une attention particulière à la figure du paria et vise à sensibiliser le lecteur à la notion d’autrui. La pitié suscitée par la lecture ne vise pas tant l’apitoiement que l’engagement du lecteur à prendre conscience de l’autre et à s’investir moralement à pallier la vulnérabilité de son concitoyen. Cette foi en une morale littéraire sociale peut être comparée anachroniquement au plaidoyer vibrant de Martha Nussbaum pour la puissance morale de la lecture. Dans son célèbre essai L’Art d’être juste. L’imagination littéraire et la vie publique (1995), elle soutient que la lecture des romans assure une « justice poétique » suscitant les lecteurs, à travers les émotions romanesques, à la bienfaisance. Comme Staël, elle valorise la notion d’imagination car elle est « un élément indispensable d’une attitude morale qui nous demande de nous intéresser au bien de personnes étrangères, dont les vies sont éloignées des nôtres ». Ce dialogue anachronique tend à définir la lecture comme la fabrication poétique d’un engagement moral. Les réflexions de Nussbaum permettront de dégager les notions de « désintéressement », d’ « impartialité » et d’ « altérité », qui sont inscrites comme valeurs morales dans les récits et essais de Staël.
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