Centre de Recherche sur les Poétiques du XIXe siècle
Université Sorbonne Nouvelle : 8, av. de Saint-Mandé, 75012 Paris
CRP19, 17, rue de la Sorbonne, 75005, Paris (bureau F013)
Date : jeudi 16 et vendredi 17 juin 2016
Horaire : 9h-17h30
Lieu : à Paris 3, centre Censier, amphithéâtre D2
Les études littéraires vivent aujourd’hui une crise de légitimité scientifique et politique. Leurs orientations, leurs finalités, les pratiques qui sont les leurs font l’objet de débats qui réclament un approfondissement constant.
Deux alternatives, particulièrement saillantes, mais trop tranchées pour être satisfaisantes, occupent les esprits. Elles peuvent être grossièrement présentées ainsi : celle qui oppose la tradition disciplinaire (philologie, rhétorique, histoire de la littérature, critique des auteurs et des œuvres) à des questionnements urgents auxquels la littérature peut servir de champ d’application (en particulier : le genre, l’identité, les rapports de force post-coloniaux, la mondialisation) ; celle qui oppose ce que la littérature donne à penser, permet de penser, sa promotion comme discours alternatif et comme forme d’art, et l’ouverture à une conception mixte des enseignements culturels, où la littérature n’a qu’un statut relatif.
Ce qui est en jeu ici, ce n’est pas la littérature en tant que telle ; ce n’est pas non plus l’usage de la littérature en contexte académique en général : c’est l’existence même et la définition d’une discipline universitaire appelée « littérature » ou « lettres ».
L’objet de ce colloque est de réunir des chercheurs et des enseignants venus de pays et d’horizons disciplinaires divers, afin d’interroger la situation présente. L’hypothèse est que, loin d’invalider l’esprit d’examen, de débat et d’innovation, la crise actuelle est peut-être le signe qu’une part du travail d’analyse n’a pas été faite, et que d’autres innovations, touchant à d’autres aspects de la transmission, et à d’autres aspects du contenu, peuvent être imaginées.
Il s’agira d’interroger les termes du débat public concernant l’enseignement de la littérature (en se souvenant que l’importante actualité éditoriale sur cette question s’inscrit dans une longue histoire de questionnements et de polémiques), on s’interrogera sur le sens des politiques éducatives en matière de littérature, et l’on envisagera la réalité des conditions actuelles de la transmission, l’identité et les motivations des publics, les configurations disciplinaires où la littérature est présente.
On abordera également des problèmes relevant d’une épistémologie de la discipline, en se demandant notamment ce qui est transmis dans un cours de littérature aujourd’hui, quels sont les savoirs, quelles sont les compétences en jeu. Par exemple, l’importation dans l’aire littéraire d’autres disciplines (philosophie, histoire, sociologie, droit, géographie, anthropologie, psychologie, etc.) – fait traditionnel devenu un trait majeur de nos pratiques – pose aujourd’hui des problèmes épistémologiques spécifiques, de même que l’exportation de l’analyse et de la théorie littéraires vers d’autres disciplines (histoire, philosophie, droit, etc.).
S’agissant des corpus d’enseignement et de recherche, on s’interrogera sur les implications épistémologiques de l’association, aujourd’hui si banale, de textes et de documents non textuels.
L’héritage de la « french theory » – si universellement discuté – fait partie des sujets qui pourront être abordés à l’occasion de ce colloque, notamment pour ce qui touche aux définitions de la langue, de la littérature, de la lecture et de la critique dont elle est porteuse.
L’enjeu, lui aussi devenu si banal, de la « mondialisation », invite à se demander pourquoi les départements de « littérature » sont indexés sur les marques nationales et linguistiques, alors qu’il existe et qu’il a toujours existé, pour reprendre l’expression de Pascale Casanova, une « République mondiale des Lettres ». Les nations ont-elles des droits d’auteur ? Des départements de littérature « transnationale », « mondiale » ou « globale » sont-ils envisageables ? Dans quelle mesure, pour quel type de public, est-il intéressant de rompre avec les découpages génériques, séculaires et nationaux traditionnels ?
De tels problèmes relèvent déjà d’une didactique de la discipline. La didactique de la littérature ayant trop peu intéressé les littéraires eux-mêmes, on ignore quelle peut en être la portée, et l’on peut encore espérer de nombreux bénéfices d’une réflexion d’ensemble sur les conditions de la transmission, sur les interactions dans l’apprentissage et sur l’acquisition dans le cadre de la discipline littéraire. Dans de nombreux pays, et par exemple en France, l’ancienneté des exercices pratiqués et celle de la « poétique » qui les règle peut faire craindre que la discipline se soit fossilisée en une scolastique.
Les situations d’apprentissage académiquement non-standard, considérées dans leur diversité (étudiants non-spécialistes, étudiants dépourvus de culture classique, étudiants allophones, étudiants linguistiquement démunis) font rarement l’objet, de la part des « littéraires », d’une réflexion théorique rigoureuse.
De même, la séparation des formations en « écriture créative » et en « littérature » mérite d’être interrogée : car il semble que la réflexion didactique concernant la littérature puisse être enrichie de l’expérience des ateliers d’écriture, des ateliers-théâtre, des ateliers de traduction, et de toutes les approches de la littérature qui impliquent pratiquement et techniquement les étudiants.