Sha Ye
L'univers romanesque de Jin Kong et sa correspondance avec le roman de cape et d'épée français, sous la direction d'Alain Pagès.
La recherche que je souhaite mener se veut être une étude comparative entre le monde romanesque créé par Jin Yong, grand maître du roman d’arts martiaux chinois du XXe siècle, et le roman de cape et d’épée, qui a atteint son apogée au XIXe siècle en France.
Jin Yong, avec ses 14 romans et une nouvelle, écrits entre 1955 et 1972 et traduits en de nombreuses langues étrangères (dont le français), a non seulement fait la synthèse de la vieille tradition du roman d’arts martiaux chinois en imprégnant ses récits exaltants des aventures exatrodinaires de nombreuses références aux pensées chinoises(le confucianisme, le taoïsme et le bouddhisme), mais aussi a largement contribué à tourner un nouveau chapitre de l’histoire de ce genre littéraire vers la modernité, tant sur le plan des techniques narratives qu’en terme des connotations culturelles et idéologiques.
Alors qu’en France, le roman de cape et d’épée, représenté entre autres par Alexandre Dumas, Théophile Gautier ou Paul Féval, et qui s’inspire directement des Comedias de Capa y espada de l'Espagne du XVIIe siècle, remonte en fait plus loin, plongeant ses racines dans le roman de chevalerie et la chanson de geste du Moyen Âge, dans le carnavalesque de l’esprit gaulois, voire dans les épopées de la Grèce antique, héritant ainsi toute une richesse des codes de la conception du monde d’un peuple dans la fraîcheur de son enfance.
L’idée de mettre en parallèle deux créations romanesques qui semblent éloignées par plus de cent ans et mille lieues de distance vient d’abord de l’inspiration que Jin Yong a su tirer de l’œuvre d’Alexandre Dumas, auteur préféré de ce dernier et nom indissociable du roman de cape et d’épée français, ce qui fait réfléchir sur les apports occidentaux dans la modernisation d’un genre littéraire chinois. A ce croisement « personnel » s’ajoutent des analogies qui, d’une manière plus solide, rendent possible le rapprochement entre le roman d’arts martiaux chinois et le roman de cape et d’épée français, tous deux rencontrant un vaste lectorat dans leur pays, mais défavorablement qualifiés de genre mineur et populaire. Néanmoins, derrière une écriture apparemment limpide et légère, ces deux formes littéraires aux racines qui ne plongent pas aux mêmes sources historiques, sont intrinsèquement liées aux plus profonds de leur culture nationale, et recèlent en commun des thèmes éternels et des valeurs esthétiques et symboliques qui méritent bien une étude plus poussée, permettant d’ouvrir un autre horizon éventuel sur le dialogue transculturel entre Occident et Orient.
Il est d’autant plus nécessaire d’approcher autrement ces deux types littéraires similaires — qu’il s’agissent de leur style ou de leur destin contradictoire d’être en même temps populaire et sous-estimé, qu’à ce sujet, il n’existe en Chine que quelques articles portant sur une comparaison simplifiée et parfois stéréotypée entre JIN Yong et Alexandre Dumas, laissant échapper les messages codés dissimulés sous la structure apparente. Tandis qu’en France, pour autant que je le sache, les essais consacrés au roman de cape et d’épée se concentrent sur Alexandre Dumas père, notamment sur son talent de conteur d’histoires ou son statut dans la tradition du roman historique, sans trop creuser les valeurs métaphysiques renfermées dans ce type de roman. Dans ce cadre, l’originalité de cette étude comparative résiderait dans une méthode de recherche à la fois « verticale » (à la recherche des racines) et « horizontal » (rencontre entre deux formes littéraires originaires de différentes civilisations), offrant une double-perspective culturelle.
Cette recherche se situe donc sous le signe d’une relecture de l’univers romanesque créé par une figure imposante du roman d’arts martiaux chinois et sa rencontre (au sens le plus large de ce mot) avec le roman de cape et d’épée français, en mettant en application des théories et des instruments d’analyse appartenant à la littérature comparée, mais aussi à la lumière de la philosophie nietzchéenne sur la tragédie grecque ainsi que la poétique de carnavalesque de Mikhaïl Bakhtine. En révélant les points de convergences et les originalités de chaque côté, j’envisage de proposer une nouvelle compréhension sur ce genre de roman gai, festif, merveilleux, à la fois appolinien et dionysiaque.