Centre de Recherche sur les Poétiques du XIXe siècle

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  • Titre de la Thèse: Germaine de Staël : Philosophie et poétique romanesque de la Révolution

Adrien Peuple

Germaine de Staël : philosophie et poétique romanesque de la Révolution, sous la direction d'Aurélie Foglia. 

Les essais et les écrits fictifs de Germaine de Staël énoncent une réflexion sur les bouleversements poétiques et philosophiques de la société française au lendemain de la Révolution. En 1800, alors que le monde entre progressivement dans l’ère de la Modernité, son essai De la littératuremilite pour une littérature nationale et républicaine qui sonde les troubles de la vie privée. Alors que le classicisme se cantonne à recycler la poétique aristotélicienne dans une quête de l’unité parfaite, Staël encourage les écrivains à délaisser l’influence de la littérature du Sud, imprégnée des concepts d’Aristote, au détriment de la littérature du Nord qui ouvre la voie à la méditation lyrique et à la réflexion philosophique. Le roman s’impose comme une écriture lyrique qui scrute l’intériorité de l’individu ; c’est pourquoi Staël définit la fiction, dans son Essai sur les fictions, par « [sa] seule imitation du vrai », c’est-à-dire, un roman, non pas qui peint fidèlement le réel, mais qui se veut une quête heuristique des structures affectives et psychiques de l’être humain. Staël œuvre par là à une valorisation du genre romanesque et de l’imagination : la fiction n’est pas coupée de la réalité ; au contraire, l’imagination favorise une réflexion philosophique sur le réel par le filtre de la fiction. Pourtant, force est d’observer un paradoxe dans la réflexion poétique de Staël : la notion même d’imitation renvoie au concept de la mimesisaristotélicienne. Ce paradoxe se veut geste révolutionnaire : le terme même de « révolution » a pour définition première « [tout] mouvement circulaire fermé autour d’un axe dont le point de retour coïncide avec le point de départ ». Telle est la démarche de Staël : non seulement elle reprend la poétique aristotélicienne pour lui insuffler un saut qualitatif induisant une mise en tension du roman qui oscille entre une démarche contre-romanesque et hyper-romanesque, mais également elle déplace les paradigmes de la logique d’innutrition défendue par Joachim Du Bellay : les écrivains modernes ne doivent plus imiter les auteurs grecques et latins, ils doivent au contraire s’inspirer des écrivains européens et contemporains. Cette révolution de la poétique classique forge l’émergence d’un humanisme moderne et d’une poétique romantique. Il reviendra en outre de démontrer que ce romanesque lyrique est corrélé à une révolution de la poésie lyrique : le lyrisme n’est plus un chant mélodique de l’amour mais l’expressivité même des sentiments. De plus, la poésie lyrique trouve sa puissance non plus dans la versification qui fait barrage à l’inventivité mais dans la prose qui donne libre cours à l’expression des sentiments et des idées. Dès lors, poésie et prose romanesque mènent une même bataille, celle d’une libération des formes poétiques au profit d’une littérature « qui fait servir l’émotion à quelques grandes vérités morales » (De la littérature).
Cette poétique romanesque de la révolution donne à lire une philosophie révolutionnaire qui se caractérise par une dialectique de la continuité et de la discontinuité de la philosophie des Lumières : si ses œuvres sont placées sous le signe de la tolérance, il n’en demeure pas moins que Staël réhabilite une spiritualité explicitement chrétienne, à l’encontre de la philosophie matérialiste et empirique du XVIIIesiècle. Qui plus est, les philosophes des Lumières ne se sont guère souciés d’émanciper le statut des femmes ; or, elle revendique une éducation égale et équitable entre les sexes et démontre, à travers ses deux héroïnes romanesques Delphine et Corinne, le charme et la pugnacité de l’intelligence féminine. Pour autant, le féminisme de Staël est pour le moins contradictoire : alors que ses héroïnes paient le prix cher de l’indépendance au risque de l’ostracisme, Staël fait le constat de l’impossibilité pour une femme de s’inscrire dans la sphère publique. Dans De l’Allemagne, elle reprend presque la théorie rétrograde de Rousseau selon laquelle la nature prédispose les femmes aux soins domestiques. Bref, la gloire « ne saurait être pour une femme qu’un deuil éclatant du bonheur ». Nous émettrons l’hypothèse que, loin d’être rétrograde, Staël fait le constat d’une mélancolie du genre féminin. En somme, le roman se présente comme le territoire le plus approprié pour exprimer cette mélancolie du fait que ce genre littéraire soit généralement dévolu aux femmes : à travers ce territoire féminin, Staël fait émerger les souffrances de la condition et de l’écriture féminine.
Le projet de ce doctorat a pour objectif de démontrer la mise en place d’une écriture révolutionnaire sous tension : tout en revenant aux origines de certains préceptes poétiques pour mieux les renouveler, Staël se coupe de certaines traditions poétiques et philosophiques devenues désuètes dans l’optique d’établir une cohésion sociale. Au crépuscule des Lumières et à l’aube du Romantisme, Staël fait figure de proue de la modernité. 

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