Loïc Le Denmat
Gérard de Nerval et le platonisme, sous la direction de Paolo Tortonese. Thèse soutenue le 8 novembre 2013.
Nerval et le platonisme doit être compris comme Nerval envisagé au miroir du platonisme, dans lequel platonisme est réciproquement compris comme le platonisme envisagé à la lumière de l’oeuvre de Nerval. Il n’est pas question pour nous de traiter d’un platonisme en soi, considéré indépendamment de l’oeuvre en regard de laquelle il est ici envisagé : cela reviendrait à retenir des traits constitutifs inefficients car non actifs dans la perspective d’une étude nervalienne. Sélectionner les caractéristiques philosophiques majeures de ce courant, pour ensuite s’efforcer de mettre en lumière leur présence et leur discussion dans l’oeuvre de Nerval équivaudrait à traiter séparément les deux termes du sujet sans être parvenu à saisir en quoi le et situé entre les termes du sujet n’a pas pour seule fonction de les juxtaposer, mais est au contraire destiné à exprimer le lien profond existant entre l’oeuvre de Nerval et les catégories, représentations et problématiques caractéristiques du platonisme et de la tradition qui l’accompagne dans l’histoire des idées et l’ensemble de la culture occidentale.
De plus, il importe de signaler ici la consonance unique d’un tel axe d’étude dans le cas de Nerval, dans la mesure où celui-ci développe lui-même une réflexion très singulière autour de la question du platonisme (sans pourtant la rapporter toujours aussi clairement et directement à ce concept) : sa pensée de l’histoire occidentale, ainsi que la manière dont il se représente sa propre formation intellectuelle et imaginaire, y sont intimement liées.
Entreprendre l’exploration du platonisme nervalien implique donc de rassembler la manière dont l’auteur pense cet héritage protéiforme et diffus et les continuités et identités que nous, critiques littéraires contemporains, percevons exister entre cet ensemble et l’oeuvre de l’auteur. C’est pourquoi la première tâche de notre étude a consisté à reconstituer un aspect du contexte historico-culturel, intellectuel, scientifique et artistique de l’époque de Nerval afin de comprendre comment on perçoit alors le platonisme. Cela nous a fourni le socle nécessaire à l’ébauche de ce que Nerval lui-même en connaît, selon ce contexte, ainsi que sa propre formation intellectuelle. Ces étapes ont constitué la condition d’une étude pertinente de la poétique et de la pensée de Nerval dans la perspective qui nous occupe.
Nous nous sommes attaché à décrire la place qu’occupent dans la pensée de Nerval le platonisme et ses ramifications au fil de l’histoire des idées, en décrivant, à partir de l’ensemble de l’oeuvre, la manière dont l’auteur conçoit l’histoire des idées occidentales. Nous avons ainsi mis en évidence la place centrale qu’occupe la tradition platonicienne au fil de la transmission ininterrompue, d’âge en âge, de savoirs sacraux et originaires. Le platonisme s’établit comme la trame autour de laquelle se tisse, dans la pensée de Nerval, une esquisse de philosophie pérenne conservant un savoir premier, révélé et sacré.
Nous avons ensuite voulu décrire dans quelle mesure une série de thèmes centraux dans l’oeuvre de Nerval reflètent diversement les grands agencements sur le fondement desquels le platonisme modélise la réalité. Parmi ces agencements, l’idée principale est celle d’une tension d’ordre métaphysique opposant chez Nerval dispersion et unité, finitude et persistance, rupture et continuité, sacré et prosaïque. Ce schème fondamental s’exprime dans l’opposition entre deux ordres du monde, l’un funeste dont on subit le joug, et le second lumineux vers lequel on s’efforce de tendre. On reconnait ici l’origine platonicienne de ce motif d’un double niveau de réalité opposant l’obscurité et l’absurdité des apparences à l’ordre et à l’intelligibilité du monde supérieur. Dans la perspective de la dualité profonde déterminant l’expérience nervalienne du monde, le motif de l’initiation mystérique, comme renaissance et régénération de l’existence humaine, se charge de sens. Au-delà d’une simple référence littéraire et païenne, le poète perçoit certainement dans le processus initiatique l’expression d’une conquête de la vie divine et du monde idéal.
Enfin, nous avons voulu, en conservant l’axe platonicien de notre cheminement critique, décrire la manière dont, chez Nerval, vie poétique et vie réelle s’entrelacent étroitement et s’influencent l’une l’autre. Nous avons tout d’abord tâché de décrire la place centrale occupée par l’art dans le déploiement de l’Histoire selon Nerval. L’art a pour fonction d’assurer la continuité entre les âges successifs et garantit la transmission, d’école en école, d’un héritage culturel originaire. Il se dessine alors dans la pensée de l’auteur, de manière analogue à la série de penseurs hardis qu’il distinguait dans l’histoire des idées, le motif d’une famille d’écrivains allant d’Apulée à Cazotte et Nodier, dont la poétique commune, mêlant mysticisme et poésie, serait caractéristique d’une littérature d’extrême-civilisation. Or, conformément à l’imaginaire concordantiste et pérennialiste que Nerval applique à sa lecture de l’histoire, cette poétique de la bigarrure, libre et authentique expression de l’esprit du temps, coïncide avec l’impulsion d’une littérature à la fois primitive et universelle. Ainsi Nerval transpose-t-il dans le domaine esthétique son intuition d’une analogie profonde entre Antiquité et époque moderne, et suggère-t-il par-là la voie à suivre pour pallier le mouvement de dégénérescence affectant l’art et le monde contemporain.
Publications
Article
« Éros et Psyché : une double postulation platonicienne chez Théophile Gautier », Bulletin de la Société Théophile Gautier, n° 33, « 1811-2011 – le bicentenaire », p. 149-160.
Communication
« Nerval et l’école d’Alexandrie », présentée en novembre 2011 dans le séminaire Paris 3 – Paris IV, sous la direction de Paolo Tortonese et d’André Guyaux, lors de la séance annuelle consacrée à Nerval, animée par Jean-Nicolas Illouz et Jean-Luc Steinmetz.