Notre thèse propose d’aborder sur nouveaux frais l’apparition et le développement du poème en prose au XIX^e siècle en adoptant une perspective politique. Il ne s’agit pas de traquer les thèmes sociaux ou les idéologies dans les textes, mais d’envisager la manière dont les poèmes, comme actes de langage spécifiques, proposent une reconfiguration du commun et de la communauté.

Les romantiques avaient postulé une mission civilisatrice de la poésie, vouée à façonner le Peuple à venir sur les bases d’une idéalité inscrite au cœur même de leur langage. Cette idéalité s’effondre avec l’émergence de la prose dans le poème et la « crise de vers » qu’elle engendre : privé de la précellence de son langage, le poète est sommé de redéfinir la place et le rôle du poème dans la société, en même temps que sa capacité d’incidence sur la sphère publique. Comme nous nous employons à le démontrer, cette politique de la prose dans la poésie repose sur la reconnaissance d’un excès de la communauté sur le discours et la forme que le poème peut en donner, engageant une conception et une élaboration de la vie collective dépourvue d’idée supérieure à accomplir.

Croisant les perspectives poétique et politique, notre étude s’attarde en particulier sur quatre recueils canoniques du corpus de poèmes en prose : Le Spleen de Paris de Baudelaire, Illuminations de Rimbaud, Divagations de Mallarmé etConnaissance de l’Est de Claudel. Un tel croisement poursuit un double objectif : renouveler la critique de ce que nous proposons d’appeler la « prose en poème » et déplacer les modèles de compréhension de la politique de la littérature, encore trop souvent indexés sur la théorie du roman.