Bénédicte Elie
Le Deuil de l'Epopée : origine d'un genre nouveau dans "les ouvrages d'imagination" d'Edgard Quinet. Ahasvérus, Prométhée, Napoléon, Les Esclaves, sous la direction de Dominique Combe. Thèse soutenue le 4 septembre 2018.
L’Épopée aux alentours de 1830 : un genre mort ? La mort théorique de l’épopée résulte d’une triple condamnation : une condamnation nationale, « les Français n’ont pas la tête épique » ; mais aussi une condamnation historique, « les modernes n’ont pas la tête épique » ; et enfin une condamnation esthétique, « Voilà évidemment le poème épique condamné. […] Le poème épique nous apparaît donc esthétiquement comme un paradoxe » . Et pourtant nombre de publications voient alors le jour. Comment comprendre cet apparent paradoxe. Au carrefour de la poétique historique des genres, de l’histoire littéraire, et de l’herméneutique cette thèse entreprend de dépasser ce paradoxe en faisant de la mort de l’épopée l’origine d’un genre nouveau. La notion de deuil nous a permis de penser le lien entre la mort de l’épopée classique et la naissance de l’épopée des années 1830. Ce que nous prenions alors pour le crépuscule de l’épopée était en fait son aube, mais l’aube blafarde d’un genre en deuil. Le chant de victoire était devenu chant de deuil. L’œuvre de Quinet, père de la démocratie moderne, théoricien de la laïcité, défenseur des nationalités, mais aussi poète et théoricien de la littérature nous a servi de laboratoire d’étude pour comprendre la naissance de ce genre du tombeau de l’épopée classique.En effet, les épopées de Quinet portent en elles le deuil d’un genre perdu. D’une épopée en vers, on passe à une épopée en prose, mais à une épopée en prose qui dit la poésie du monde ; d’une épopée de l’étendue, on passe à une épopée « raccourcie », mais qui dit la complétude de l’être humain ; d’une épopée emplie de merveilles, on passe à une épopée qui porte le deuil du merveilleux, mais qui réenchante le réel ; d’une épopée nationale, on passe à une épopée qui porte le deuil de la patrie, mais pour mieux consolider la nation ; d’une épopée du combat, on passe à une épopée du débat qui dit le morcellement des consciences